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SENGHOR, UNE COMMÉMORATION EN CATIMINI

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Lundi 20 juin, le Sénégal a commémoré le 20ème anniversaire de la disparition de Léopold Sédar Senghor. Si globalement le gotha culturel fut au rendez-vous de cette date symbolique, la République a brillé par son absence. Aucun cérémonial républicain pour marquer le coup. Le Président de la République, Macky Sall, a assuré le service minimum : un tweet pour saluer la mémoire d’un “des plus grands poètes du 20e siècle”, et le “bâtisseur de l’Etat moderne du Sénégal”. Quel contraste avec la commémoration en France du 50ème anniversaire de la disparition du Général de Gaulle. C’était un défilé permanent des personnalités politiques françaises à Colombey-les-Deux-Églises, lieu où est enterré le chef de file de la Résistance à l’occupation nazie. Socialistes, communistes, libéraux, centristes et même l’extrême droite, toutes les sensibilités ont rendu hommage à leur De Gaulle, dans une ferveur parfois teintée de récupération politicienne. Mais qu’importe les intentions étaient là. La France lui a rendu un hommage à la hauteur de sa place dans l’histoire de ce pays.

Senghor, hélas, ne peut pas en dire autant. Le Président-poète semble victime de deux choses.

D’abord, Senghor est perçu par beaucoup, notamment dans la gauche radicale, et dans les cercles nationalistes comme une figure consensuelle, trop conciliante à l’égard de l’ancienne puissance coloniale, la France. Ces gens lui reprochent sa modération et lui préfèrent des figures jugées plus nationalistes et radicales comme Mamadou Dia ou Cheikh Anta Diop. Rare sont les jeunes, par exemple, qui se déclarent senghoriens. Dans la galaxie des hommes d’États africains, on lui préfère Thomas Sankara, incarnation de l’image d’Épinal du révolutionnaire, et même -chose extraordinaire- Sékou Touré, dont on admire certaines saillies contre la France.

Ces gens feignent d’oublier que Senghor est le grand artisan du modèle démocratique sénégalais. Républicain convaincu et tourné vers l’universel, il a toujours veillé à la cohésion nationale et n’a jamais cédé aux démons du communautarisme ethnique ou religieux. Senghor est, aussi, le grand architecte de cette laïcité à la sénégalaise, garante de notre stabilité. Quant à sa prétendue complaisance à l’égard de la France, l’auteur de “Chants d’ombre Hostie noire” avait juste compris que pour une jeune Nation, l’idéal était d’entretenir des rapports filiaux et privilégiés avec l’ancienne puissance coloniale tout en se ménageant une souveraineté progressive. Un équilibre pas très lyrique mais payant sur la durée.

Au-delà de cette méconnaissance et ce faux procès, Senghor est aussi victime du manque de culture historique de nos dirigeants et de leur indifférence pour un concept tel que le devoir de mémoire. Au Sénégal, il y a très peu de grandes messes républicaines où l’on revisite l’histoire à travers ses grands hommes. Ce que l’on relève pour Senghor vaut également pour Lamine Gueye, Cheikh Anta Diop, Mamadou Dia, ou encore Abdoulaye Ly, autres figures de notre panthéon politique. Les grandes figures féodales sont, elles, aussi reléguées dans les catacombes de l’histoire : lequel de nos chefs d’État a, un jour, prononcé un discours sur Lat Dior, Alboury Ndiaye, El Hadj Oumar Tall, le Buur Sine Coumba Ndoffène, etc…”Un peuple qui ne connaît pas son passé, ses origines et sa culture ressemble à un arbre sans racines”, disait Marcus Garvey. Quel meilleur moyen de nous plonger dans l’histoire, de nous enraciner, que de prendre le temps de célébrer nos grands hommes, de nous remémorer les dates symboliques de notre histoire par de grands hommages républicains, où le Président de République, au premier chef, prononcerait des discours élevés et rassembleurs.

Nos dirigeants, hélas, n’ont d’yeux que pour le présent et l’avenir. Ils n’ont de mots que croissance, inclusion, synergie, concepts creux mitonnés par des communicants.

Par Adama NDIAYE
(Chronique parue de Bès Bi Le Jour)

22 décembre 2021


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