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POPULISMES

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Le monde entre dans un tourbillon. Les conflits entre pays s’estompent. Mais ceux à l’intérieur des mêmes frontières persistent. Face aux rivalités communautaires qu’exacerbent des appétits de pouvoir, certains régimes n’hésitent pas une seconde à faire appel à l’aide étrangère pour calmer les fronts et différer les affrontements que rien ni personne ne peut éviter.

Qui songe à savoir ce qui se passe en Centrafrique ? Personne ou très peu. Voilà une tragédie oubliée. Du moins le silence qui l’enveloppe rend l’opinion indifférente au sort de millions de gens laissés à eux-mêmes dans un no man’s land où l’abjecte le dispute à l’indicible dans un chaos indescriptible.

Un chaos similaire guettait le Mali lorsque des groupes armés salafistes se rapprochaient « à grands pas » de Bamako qui ne dut son salut qu’à l’intervention en août 2014 de l’armée française sous l’opération Barkane. Celle-ci prenait, illico presto le relais de Serval et d’Epervier, objectivement limités par les termes de leurs missions respectives. Paris venait ainsi de sauver le régime malien qu’incarnait Ibrahim Boubacar Keïta plus connu sous ses initiales : IBK, mort dimanche des suites d’une longue maladie.

Des épreuves, il en a connues IBK. Il arrive au pouvoir par le plébiscite des urnes. Ce qui devrait le conforter en leader bien élu par le peuple du Mali devient pour lui l’épouvantail : les entourages. Nombreux et divers tout au long de sa trajectoire ascendante, il croisa des visages, des ambitions, des bouffons, des saltimbanques, des lâches et des cagoulards qui avaient fini par former autour de lui des cercles d’amitiés à géométrie variable. Inhibé par tant de complexité, IBK doutait de la loyauté de certains de ses proches. Lesquels se dérobaient, pour la plupart, de leurs responsabilités pour se vautrer dans la facilité. En clair, certains politiques ont renoncé à leur dignité, au Mali comme ailleurs dans la région ouest-africaine. Bien triste.

A vue d’œil son autorité faiblissait. La maladie qui le rongeait aggravait son détachement du réel. Tandis que sa déconnexion du peuple, dont l’écho des souffrances et des avatars lui parvenait petitement, accentuait son isolement au grand bonheur hélas des vautours. D’aucuns n’hésitaient pas à situer le délitement de l’Etat au Mali à partir de cette « vacance de pouvoir » synonyme d’immobilisme, d’incompétence et de porte ouverte à la prévarication.

Quoique complexe, le contexte d’alors admettait des réponses multiples qui ont pour soubassement une dyslexie politique, sorte d’incapacité à lire les évènements, à les interpréter ou à les anticiper. Bamako bruissait de rumeurs, des plus folles aux plus fantaisistes sur fond d’une lutte âpre et sans merci entre clans rivaux au sein du premier cercle de pouvoir d’IBK, famille et amis.

L’arc de crise frappant le Mali s’étend au Burkina Faso et au Niger. Ensemble, ces trois pays partagent une zone instable dite « zone des trois frontières », fragile et poreuse où se succèdent attaques, prise d’otages, tueries, vol de bétail et viols.

La fragilité de cet espace reste étrange tant les trois pays ne semblent pas pressés de conjuguer leurs forces en combinant leurs efforts pour endiguer ce mal pernicieux d’un fanatisme débordant. Pris isolément, ils ont eu leurs lots de morts, de blessés et de kidnapping sans s’apercevoir que l’émiettement de leurs maigres forces justifie leur affligeante vulnérabilité devant un ennemi déterminé à les discréditer auprès de populations désemparées.

Que faire ? Le cynisme qui leur est infligé doit être un facteur de rassemblement pour surmonter les différences de perception autour d’une plate-forme de riposte concertée. Faute de quoi s’installe la chienlit, un indescriptible désordre difficile à cerner ou à circonscrire.

Sans doute faudrait-il inscrire les récents actes de la Ceadao à l’égard du Mali dans ce registre de discipline institutionnelle qui déconstruit toute tentative de ruiner la démocratie dans la sous-région. Les urnes constituent la voie royale d’accès au pouvoir. Non seulement le rappel vaut avertissement mais parfois l’Organisation agit en conformité avec ses textes fondateurs.

L’écart temporel n’évacue pas le geste posé quand il a fallu déloger Yaya Jammeh du pouvoir et l’obliger à quitter le territoire gambien dont il devenait le facteur de trouble avéré. Cette prouesse de la Cedeao avait été saluée comme un tournant dans le mode opératoire des organismes d’intégration. En récidivant à Bamako avec des sanctions économiques contre le Mali de la junte kaki, l’institution d’Abuja accréditait la thèse d’une cohérence de sa démarche. Elle récuse toute prise de pouvoir par les armes. Clairement.

Pas plus qu’elle n’encourage l’arrivée au pouvoir des militaire sous quel que prétexte que ce soit. A fortiori quant ces juntes, goûtant « aux délices », songent à prolonger leur bail en fixant eux-mêmes leur propre horizon. Personne n’a intérêt à soutenir une ambiance crépusculaire. Pour déjouer les mesures les frappant, les militaires de la junte s’ingénient à mobiliser la foule, à la galvaniser par des airs « patriotiques » qui frisent le populisme.

L’affluence de vendredi dernier dans plusieurs villes de ce vaste pays, fut le fruit d’une manipulation des symboles orchestrée par des hommes rompus aux gestes pavloviens. Ils ont agité une saveur de liberté. Ils ont établi des raccourcis historiques pour exercer sur les foules embrigadées une fascination factice. Un détournement d’attention…

La vision exaltée qu’ils projettent sur le Mali leur vaut très certainement cet afflux de gens en quête de sens. Leurs manœuvres inquiètent plus qu’elles ne rassurent si tant est que leur dessein consiste à tuer dans l’œuf toute velléité contestataire pour ne privilégier que la tyrannie rampante. Danger. La démocratie est ainsi menacée. Pire, les recettes populistes font florès ici ou là.

L’opposant Laurent Gbagbo, ancien Président de la République de Côte d’Ivoire, s’empresse d’applaudir les putschistes maliens en rusant avec l’opinion pour flétrir les sanctions prises par la Cedeao. Pour lui, les victimes ne sont autres que les populations.

Que signifie le silence observé à Conakry ? Les militaires qui y sont au pouvoir surfent sur la vague anti-Alpha Condé qu’ils ont suscitée après l’avoir déposé pour espérer bénéficier du soutien populaire qu’ils rêvent d’obtenir. Or en s’abstenant de porter un jugement sur ce qui vient de se produire à Bamako, la junte guinéenne semble s’en accommoder. Le colonel Doumbouya and Co élargit le spectre du populisme auquel succombent les foules faute de discernement.

D’emblée se précise un axe : d’Abidjan à Conakry en passant par Bamako surgissent des forces politiques éparpillées dont le dénominateur commun pourrait être le « dégagisme » notion floue, dépourvue de consistance, de substance et de prévenance. L’envie de jonction fleurit, avec pour épicentre Bamako qui s’érige en sanctuaire de la « résistance » contre la France.

C’est un économiste africain qui le dit : « il ne coûte rien de fustiger la France et ça peut rapporter gros comme au… Loto ! » Froncement de sourcils. Les tiers-lieux veillent.

Mamadou NDIAYE

18 janvier 2022


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